"Je suis un artisan de la mer", se plaît à dire Francis Joyon, de sa voix douce et assurée. Mais le navigateur français, d'une discrétion absolue sur terre, est un monument de la voile, entré dans l'Histoire avec ce tour du monde sans escale en 40 jours bouclé ce jeudi au large de Brest.
Et dire qu'il n'est pas d'une famille de marins! Né dans le centre de la France, Francis Joyon a découvert la voile adolescent à l'occasion d'un stage scolaire. Bien plus tard, en 1990 à 34 ans, il récupère des morceaux de bateaux pour fabriquer lui-même son catamaran et participer à sa première Route du Rhum. L'histoire est lancée.
Depuis, il s'est adonné sans relâche à sa passion, enchaînant les records sans jamais jouer la carte du star-système ni de la surenchère technologique. Une aventure à sa mesure.
Il a une grande force, énormément en lien avec la nature, c'est un sportif, et qui aime gagner. Mais il a un côté hors du temps. Il est aux antipodes de tout le monde économique
raconte à l'AFP son ami et sponsor depuis 15 ans, Patrice Lafargue, président de Idec Sport.
Premier navigateur en 2004 à faire le tour du monde sur un multicoque, sans escale (72 j 22 h 54 min 22), il a détenu durant 8 ans le record du tour du monde en solitaire (57 j 13 h 34 min), jusqu'à la performance d'un autre Français, Thomas Coville, le 25 décembre dernier (49 j 03 h 07 min).
De l'or dans les mains
Jeudi, il a bouclé le tour du monde en 40 jours avec un petit équipage, écrasant de 4 jours le précédent record de 2012 de Loïck Peyron."Battre des records, c'est son envie personnelle, il n'en tire aucune gloire. Il est d'une simplicité à toute épreuve. Il y a des personnes qui en font dix fois moins et qui en racontent dix fois plus", relève Lafargue.
Ce n'est pas pour rien qu'il est parfois surnommé le Menhir, un roc physiquement et mentalement. Francis Joyon, qui a aussi passé le cap des 60 ans l'an dernier, est la plupart du temps sur l'eau. C'est un loup solitaire, marié avec Virginie, la mère de leurs deux fils, Corentin et Damien, qu'il a rencontrée il y a 27 ans.
La famille s'est installée à Locmariaquer, en Bretagne, dans une maison, face à la mer, que Francis Joyon a entièrement construite de ses mains. "Francis est quelqu'un qui fait de grandes choses et pas que sur le bateau. Il a de l'or dans les mains. C'est un bâtisseur. Il a des grosses paluches et elles servent bien !", confie Virginie Joyon.
Artisan mais pas artiste, contrairement à son père, qui peignait des tableaux. Compétiteur dans l'âme et amoureux de la nature.
"Ça le touche énormément, ces histoires de containers dans les mers. Il est très écolo mais pas au sens politique. Ce matin, il nous a envoyés un joli texte qu'il était en train d'écrire sur l'état des mers. L'avenir de la planète le préoccupe beaucoup", glisse sa femme, à quelques jours de l'arrivée de son mari au terme de son tour du monde record.
L'homme qui parle avec son bateau
Signe de sa dimension hors du commun, Francis Joyon est de ces marins qui écoutent parler leur bateau. Chaque bruit est une parole. "Quand notre premier trimaran s'est échoué, j'ai retrouvé Francis à 6h du matin, assis sur les rochers avec le bateau disloqué autour de lui. Il m'a raconté qu'avant le drame, le bateau avait craqué comme jamais, pour lui dire qu'il était usé. Francis avait discuté avec son bateau, c'était émouvant", se souvient Lafargue.Désormais, Francis Joyon a une envie: partir en mer longtemps mais avec sa femme. Et qui sait, peut-être se lancera-t-il encore dans des exploits, aux côtés de son fils Corentin, qui a rejoint son équipe, et qui, à 23 ans, rêve de marcher sur les traces de son illustre père.